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Chasse à l'aigle royal, une tradition qui perdure en Mongolie


Chasse à l'aigle dans l'Altaï mongol



L’Altaï mongol, des paysages sauvages hors du temps Située au centre de l’Asie centrale, la Mongolie s’étend sur un vaste territoire grand comme trois fois la France. Souvent restreinte dans notre imaginaire à une immense steppe sauvage et monotone, la Mongolie possède en fait une grande diversité de paysages dont l’Altaï est un exemple. Écrin sauvage posé entre Chine, Russie et Kazakhstan, l’Altaï mongol propose un univers mêlant dunes de sable, pics déchiquetés couverts de neiges éternelles. La steppe est parsemée de hauts sommets pouvant atteindre 4 000 mètres et de lacs d’altitude aux reflets argentés. Ce décor presque entièrement dépourvu d’arbres rappelle parfois le Tibet ou le Ladakh. Cette région est un refuge pour le loup, le renard et l’ours.


Mosaïque ethnique et traditions nomades L’Altaï mongol possède en outre un héritage culturel riche. Au cours des siècles, de nombreuses ethnies nomades s’y sont croisées, s’influençant mutuellement. Fortes et fières, ces dernières résistèrent dans un premier temps aux invasions mongoles avant de céder face à l’armée de Gengis Khan au XIIIème Siècle, puis à l’influence de la dynastie des Qing et de l’empire Mandchou. Cette ancienne patrie du peuple Touva est aujourd’hui principalement peuplée de Kazakhs, qui s’y sont installés au XVIIème Siècle. Fort de ce brassage culturel riche, l’Altaï est une terre sauvage peuplée d’une mosaïque de peuples Kazakh, Dörvöd, Khoton, Myangate, Khalkha, Touva... Et s’y sont transmises de génération en génération les traditions et les valeurs nomades, dont le festival aiglier.


La chasse à l’aigle, une tradition ancestrale fêtée chaque année Parmi les traditions ancestrales des nomades kazakhs, la chasse à l’aigle se transmet de père en fils depuis plusieurs siècles. Marco Polo en parlait déjà dans ses récits de voyages. Le burkitschi, chasseur à l'aigle en kazakh, chasse généralement du petit gibier avec l’aide d’un seul aigle. C’est le cas pour la chasse au renard. Parfois, il s’attaque à un gibier plus gros comme le loup, avec l’aide de plusieurs aigles cette fois. Ce type de chasse est un véritable art. Élever un aigle pour la chasse est un travail de longue haleine et de patience. Un aigle est en moyenne utilisé 8 à 10 ans avant d’être relâché dans la nature où il peut encore vivre autant de temps et se reproduire.







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En Mongolie, la chasse à l’aigle royal se féminise

Un vent nouveau souffle sur les steppes de Bayan-Ölgii. Dans cette province de tradition nomade, située dans l’extrême ouest de la Mongolie, des adolescentes s’emparent d’une activité jusqu’alors masculine : la chasse à l’aigle royal. La photographe Alessandra Meniconzi a cherché à savoir pourquoi. Elle a partagé la vie de ces jeunes filles pendant quatre mois, mais, elle le reconnaît, ce monde mystérieux n’a pas livré tous ses secrets…

Son intention de départ : observer ces nomades pratiquer la chasse à l’aigle. Mais finalement, celles qui ont attiré l’œil de la photographe sont les adolescentes de cette région qui, depuis peu, se sont emparées de cette tradition masculine.


Quelle importance revêt l’aigle royal pour les personnes que vous avez rencontrées ?

Les Kazakhs de Mongolie en sont fous ! Pour eux, c’est un dieu du ciel. Bien sûr, ceux qui se sont sédentarisés en ville n’en possèdent plus. Mais les familles nomades en ont toutes un. Sous chaque ger, il y a un perchoir en forme de trépied, le tughir,réservé au rapace. En y réfléchissant, j’en ai très souvent vu deux ou trois, soit autant qu’il y a d’adolescents dans le foyer, car l’apprivoisement d’un aigle et son dressage sont considérés comme des rites de passage vers l’âge adulte. La chasse, elle, se fait sous l’œil des hommes mûrs, car certaines proies (loups, lynx…) peuvent être dangereuses, même si, la plupart du temps, il s’agit plutôt de renards, de blaireaux ou de marmottes.

Vous avez assisté à plusieurs festivals de l’aigle. Comment est l’ambiance lors de ces événements ?

Extrêmement tendue. Celui d’Ölgii a été créé par les autorités mongoles en 2000 pour attirer les touristes dans cette région pauvre et éloignée, mais aussi pour redonner de la fierté aux Kazakhs, dont les traditions liées au nomadisme disparaissent à mesure qu’ils se sédentarisent. Ces derniers prennent donc très au sérieux ces joutes, dont les épreuves sont en fait des exercices pratiqués lors du dressage. Elles visent à tester l’obéissance des oiseaux et l’habileté de leurs maîtres. Environ 300 chasseurs s’y présentent chaque année ; certains parcourent trente à quarante kilomètres à cheval pour participer, avec leur rapace de six à sept kilos posé sur le bras ! Plusieurs fois, j’ai vu la police intervenir pour des bagarres où des compétiteurs contestaient l’attribution d’un prix. Mes amis, la famille Matei, se sont même fait voler un aigle. Le tourisme exacerbe aussi les tensions. En 2016, environ 300 étrangers ont assisté au festival d’Ölgii. En 2017, ils étaient 1 000, soit autant que les spectateurs locaux. Or certains touristes ont des attitudes inadmissibles. Ils encerclent à trente ou quarante les participants pour les photographier. Sans même leur parler ! Les Kazakhs déplorent aussi que les prix attribués aux vainqueurs (environ 2 400 tugrik, soit 0,80 euro) soient ridiculement bas par rapport au billet d’entrée (environ 25 euros). On comprend alors pourquoi ils se mettent à organiser des petits tournois dont le seul enjeu est de rivaliser d’adresse.


L’autre fait nouveau dans ces festivals est la participation des filles, toujours plus nombreuses…

Oui, l’année dernière, au festival d’Ölgii, dix des cinquante chasseurs étaient des adolescentes. De plus en plus de filles s’inscrivent depuis 2014 : cette année-là, l’unique compétitrice de sexe féminin, Aisholpan Nurgaiv, 13 ans à l’époque, avait gagné le tournoi. En 2017, j’ai assisté à la victoire de la jeune Zamanbol Matai, 13 ans aussi, face à des dizaines de quinquagénaires aguerris. J’ai constaté que les hommes étaient assez brutaux avec leurs oiseaux. J’ai l’impression que les adolescentes, elles, ont un rapport plus maternel, plus patient. Et cela a l’air de bien fonctionner.

Pourquoi la chasse à l’aigle se féminise-t-elle autant ?

Les parents auxquels j’ai demandé la raison pour laquelle ils autorisaient – et même encourageaient – leurs filles à pratiquer la fauconnerie à l’aigle royal ont tous eu les mêmes réponses : «Pour perpétuer la tradition», «parce que ma fille en est capable, elle est très forte !» Mais je soupçonne qu’ils ont aussi l’espoir de gagner un peu d’argent. Dans cette région déjà déshéritée, les éleveurs s ’appauvrissent, car le réchauffement climatique accentue la fréquence du dzuz, la conjonction d’un hiver extrêmement froid et d’un été très chaud, qui affaiblit le cheptel. Je pense que les familles ont en tête l’exemple d’Aisholpan. Elle est devenue une star depuis sa victoire et étudie dans une école privée maintenant. Depuis peu, elle a même un agent qui réclame 500 dollars pour qu’elle pose devant un appareil photo – ce que j’ai refusé.


Parmi les quinze familles que j’ai rencontrées, une seule était hostile au fait qu’une fille dresse un aigle. L’islam teinté de chamanisme pratiqué là-bas m’a paru très tolérant. Les femmes ont leur mot à dire, et pas seulement dans l’enceinte de leur yourte.

Entretien publié dans le magazine GEO n° 472 de juin 2018.


Akhelik Syezbek et son aigle de 8 ans, Khandikhiran («fort et féroce» en kazakh).

© Alessandra Meniconzi





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